dimanche 12 janvier 2014

Sur le droit de manifester en Hollandie

Un témoignage d'un manifestant sur la technique d'encerclement de manif.
Cela s'est passé à Rennes lors de la venue de M. Valls. le Jeudi 9 janvier 2014.

La « garde à vue » préventive : une autre ligne rouge franchie par Valls ?

 
Hier jeudi matin, au bout de 15 années de militantisme en solidarité avec les sans-papiers, j'ai vécu ma première « garde à vue » préventive. Point de menottes ni de barreaux ou de cellule. Une « garde à vue » à ciel ouvert de 3 heures. En pleine rue. Juste en face du bâtiment de Rennes métropole. Pendant une réunion d'un conseil local de sécurité qui réunissait des élu-e-s « socialistes » et leur ministre de l'intérieur.
 
La veille, le ministre avait été chahuté par « la manif pour tous » et, soucieux de sécuriser son périple breton, il avait ordonné : « Je ne veux plus voir aucun manifestant » (Ouest-France). L'ordre est en soi hallucinant mais ses effets ne le furent pas moins.

Hier, le collectif de soutien aux personnes sans-papiers de Rennes avait décidé d'accompagner Valls durant son périple rennais matinal. Nous étions une quinzaine avec un mégaphone des années 1980 et deux banderoles où l'on pouvait lire : « Régularisation de toutes les personnes sans-papiers » et « Valls dégage ! ». Nous venions exercer notre droit de manifester. On a le droit d'aimer Manuel Valls et de le manifester. Jusqu'à preuve du contraire, on a aussi le droit de ne pas l'aimer et de le manifester. Comme nous l'avons fait des dizaines de fois depuis 15 ans, y compris pour des premiers ministres et d'autres ministres en déplacement. En 2002, nous avions réussi à investir un meeting de l'UMP en présence du premier ministre Raffarin et d'un tas de ministres. On était une cinquantaine, on avait crié 15 secondes « régularisation de toutes les personnes sans-papiers », le SO nous avait sorti-e-s du meeting puis on avait pu manifester pendant 2 heures face à la sortie. Sans « garde à vue », même pas répressive. Je suis sûr que nombre de camarades de l'époque, alors ou aujourd'hui au PS, s'en souviennent.

Hier, nous avions anticipé que les forces de l'ordre chercheraient à nous canaliser ou à nous maintenir à bonne distance du ministre qui, faut-il le rappeler, n'a représenté que 6% des voix aux primaires « socialistes ». Mais pas qu'elles auraient ordre de nous « encager » – selon leur joli terme – à une sortie de métro et d'empêcher tout-e manifestant-e de se déplacer, même pour quitter la manifestation ou aller travailler. Pendant 3 heures, une trentaine de CRS nous encerclaient et entravaient tout déplacement de notre part, même non politique. Jusqu'à ce que le ministre 6% reparte de Rennes et puisse se déplacer sans voir « aucun manifestant ». Comme l'a dit le chef des CRS, nous avons alors été « libérés ».

Nous avons appris que, dans le quartier du Blosne dont le ministre venait inaugurer la transformation en « quartier de sécurité prioritaire », une autre forme de répression a bloqué pendant plus d'une heure des manifestant-e-s mais aussi des habitant-e-s qui voulaient rentrer chez eux. Bloqué en toute sécurité prioritaire du même ministre.

 Bien entendu, les télés ont montré cet homme qui interpellait et venait perturber le ministre par une question-remarque sur Dieudonné. Le ministre s'est arrêté et a répondu – avec beaucoup de mépris – à la personne. Illusion de démocratie et de droit de manifester. Revoyez les images et cherchez les autres, manifestant-e-s et/ou habitant-e-s. Invisibles ? Non, invisibilisé-e-s.

En effet, nous aurions dû être là aussi mais, pendant ce temps, nous étions toujours en « garde à vue » à ciel ouvert à Rennes métropole, loin du Blosne. En « garde à vue » préventive.

Cette « garde à vue » paraîtra anodine pour bien des gens ayant déjà vécu l'expérience de la répression. Ridicule par rapport à tous les visages que peut prendre la forme de la répression. Insignifiante par rapport à la vie réelle des êtres humains pour lesquels nous manifestions. Il n'empêche : je refuse de me résoudre à l'accepter et à la banaliser. Parce que c'était ma première et parce que je ne m'attendais pas à la vivre à cette occasion et, surtout, lors de la visite d'un ministre classé « socialiste ».

 Et puis, il y a tout le reste. Tout ce qui s'est passé autour de cette « garde à vue ».

La rapidité de la répression. Alors que nous avons tou-te-s rejoint le point de rendez-vous prévu à 9 h 15, devant Rennes métropole, et alors que nous entamons un simple déplacement pour emprunter le trottoir d'un boulevard et aller manifester devant la gendarmerie où se trouverait le ministre, trois CRS – puis 30 en deux minutes sortis d'une rue perpendiculaire – nous bloquent au bout de 100 mètres. Menace immédiate d'interpellation si nous ne rebroussons pas chemin. Résistance molle de notre part. Les CRS avancent. Nous reculons.

Le déplacement forcé. Alors que nous avons rejoint notre point initial de rendez-vous, juste devant Rennes métropole, les CRS nous demandent d'aller manifester de l'autre côté du boulevard et de nous cantonner à une autre sortie du métro. Là où on ne peut être vu-e-s. Nous demandons à nous consulter comme nous le faisons à chaque fois. Mais un « cravaté » vient parler au chef des CRS et c'est là que nous entendons « allez, on les encage ». Le chef des CRS donne l'ordre à sa trentaine de CRS de nous pousser jusqu'à l'autre côté du boulevard. Bousculades légères. Les 15 reculent et se retrouvent de l'autre côté du boulevard.

L'encerclement. Les CRS nous coincent alors le long de l'escalier du métro et nous encerclent. Nous demandons à ce qu'on nous laisse au moins une ouverture pour montrer nos banderoles. C'est non. Nous avons juste la possibilité de tendre des tracts aux quelques passant-e-s par-dessus la rampe de l'escalier ou les épaules des CRS. Et, heureusement, nous avons la possibilité de crier. Et nous crions, notamment lorsque nous voyons au loin des journalistes se rendre aux cérémonies (en présence) de Valls.

L'enfermement à ciel ouvert. Quelques-un-e-s parmi nous tentent de sortir du cercle des CRS mais on les repousse. Deux étudiantes demandent à quitter la manifestation pour aller en cours. Refus des CRS. Nous commençons à comprendre que la situation est originale par rapport à d'habitude et que notre collectif n'a jamais vécu cette forme de répression, même sous Sarkozy (nous en avons vécu d'autres cependant).

L'obligation de négocier. Les CRS s'obstinant à refuser toute sortie, même pour les individu-e-s qui souhaitent quitter l'action, nous sommes obligé-e-s de recourir à RG chéri pour les faire évacuer. Celui-ci les accompagne alors jusqu'à la rame de métro et fait de même pour 3 ou 4 d'entre nous. Et puis RG chéri est obligé de partir pour rejoindre le Blosne. Et là, à partir de 11 h et jusqu'à midi 15, plus aucun-e manifestant-e n'aura le droit de quitter le lieu. « Garde à vue » à ciel ouvert donc. Et préventive car nous n'avions rien fait d'autre que vouloir manifester.

Les gros connards. Pas d'autre nom pour ce CRS qui ose dire à la vue de l'une d'entre nous – qui manifeste en chaise roulante parce qu'elle est atteinte d'une maladie qui l'empêche de rester debout plus de 15 minutes – que nous avons même sorti les fauteuils d'handicapés pour les caméras. Pas d'autre nom pour ce même CRS lorsque nous lui demandons de ne pas dire des trucs de ce genre et qui répond, visiblement sûr de son impunité, qu'on a qu'à noter son matricule et porter plainte. 

Pas d'autre nom pour un autre CRS qui – lorsque l'un d'entre nous a eu une telle envie de pisser qu'il demande au chef des CRS à aller aux toilettes et que le chef accepte à condition qu'un CRS l'accompagne – demande : « Et il faut que je la lui tienne ? ». Pas d'autre nom pour tous ces CRS qui, en plus d'être les bras armés de notre « garde à vue » préventive, se permettent de ne pas la fermer et de ne pas faire leur boulot sans se foutre de notre gueule, sans rire de nos tenues vestimentaires, sans avoir des fous rires au moment de nos slogans…

La lecture de ce récit laisse sans doute dubitatif : et c'est tout ? Oui, c'est tout mais, objectivement, nous avons vécu une entrave forcée à notre droit de manifester. Et à notre droit individuel de circuler dans l'espace public. Est-ce légal ? Comme a dit un policier : « dans ces moment-là, vous savez, la loi… ». Nous discuterons de l'éventualité d'une plainte.

 Le plus important n'est pas là. Ce qui m'inquiète, c'est la lente préparation et maturation des CRS. Hier, leur mission était de (seulement) nous empêcher de manifester. Ils – faut-il préciser que 100% des CRS et des gros connards étaient des mecs – ont obéi. Ils ont souri pendant leur travail. Ils n'ont visiblement eu aucune empathie pour nous. Aucune inquiétude par rapport à la mission du jour : placer en « garde à vue » préventive à ciel ouvert 15 manifestant-e-s (pour un dispositif policier comptant plusieurs dizaines de camions de CRS) avant même qu'ils manifestent !

Un jour, quand un Pouvoir encore plus à droite demandera à ces CRS de monter d'un cran ou de plusieurs, cet ordre ne représentera pas grand-chose dans le continuum des trucs que Valls leur faisait faire. 

Et ça, ça me fait flipper.

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